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voyage du condottière

mer verte d’herbes : entre des bouquets d’arbres, la Lombardie est une suite interminable de vergers. Les mûriers ronds bordent les champs ; ils divisent l’étendue en longues bandes, et la vue ne va pas au delà de ces lignes monotones. Ils sont courts de taille, ou on leur a coupé la tête ; et chaque mûrier sert d’appui à un pied de vigne. Ils s’enlacent sans nombre ; ils font couple ; et la vigne porte son sarment soulevé sur trois ou quatre racines tortueuses, comme un candélabre à trois griffes, ou comme une patte d’oiseau pelée. Le pays est chaud et gras. Bien vert, le blé de mars est déjà haut. Et déjà, au soleil, les feuilles des mûriers font une ombre. La prairie et les arbres à fruits, en files innombrables, croisent un treillis de verdure sur le ciel. Çà et là, une silhouette au dessin fort et grave annonce un chêne. L’herbe pousse, fraîche et juvénile, sur les talus semés de jaunes violiers et de blanches marguerites, en tapis au petit point, étendu entre les arbres pour la danse des vignes. On s’engraisse bientôt, de ce pays, où l’on ne pense qu’à la richesse de la terre. Il faut que la céréale, en épis d’or, rende au soleil la lumière qu’elle lui a prise.

Soudain, le rideau des arbres s’écarte. Une allée de hauts peupliers court le long d’une rivière : les bourgeons voluptueux tremblent sur les fins rameaux. Une vaste prairie se déroule à fleur d’eau ; partout, le charme de l’eau, le charme fluide ; et les sourires changeants du jour sur les canaux. Comme au mirage des lacs, les rayons traînent sur les rigoles au reflet bleu. Toutes ces bandes d’eau qui brille semblent les longs éclats, les minces lamelles d’un miroir brisé sous le gazon. Puis, l’infinité verte se peuple de fantômes légers : comme des nuages passant sous l’herbe, l’eau réfléchit le vif azur du ciel.

Un bourg s’annonce, un son de cloche. Quelques vieilles