Page:Andreïev - Nouvelles, 1908.djvu/91

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
81
LE GOUVERNEUR

— Tiens, vieux, achète-toi quelque chose !

Iégor tendit sa paume tannée, d’où il semblait que la pièce allait rouler comme d’un toit et il remercia.

— « Quels gens étranges ! » pensa le gouverneur en s’en allant.

Sur son passage l’allée inondée de soleil se morcelait d’ombre et de lumière ; lui-même était bariolé de fragments lumineux et sombres.

— Quels gens étranges, ils ne portent pas d’alliance et on ne sait jamais s’ils sont mariés ou célibataires. Ou plutôt oui, ils ont des anneaux d’argent, ou même d’étain. Un homme qui n’a pas trois roubles pour acheter un anneau d’or et qui se marie ! Quelle misère ! Sans doute, ceux du hangar avaient aussi des bagues d’étain ; je n’ai pas regardé ; oui, des bagues d’étain avec une fine rayure au milieu, oui, je m’en souviens maintenant.

Sa pensée descendait de plus en plus profondément dans le gouffre, tournoyant en cercles sans cesse plus étroits, comme un vautour au-dessus d’un buisson ; le soleil s’était éteint, l’allée

6