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LE GOUVERNEUR

naître les pensées héroïques et honnêtes qui me viennent. On sait tout le reste, on n’ignore que cela. On me tuera comme si j’étais un coquin. C’est très dommage, mais que faire ? Je ne peux parler. Pourquoi attendrir son juge ? Ce n’est pas loyal. Sa tâche est déjà assez difficile, sans qu’on vienne encore lui dire : je suis honnête, je suis honnête… »

Pour la première fois il pensait à l’existence d’un juge ; il se demanda où il avait pris cette idée et surtout pourquoi il l’avait acceptée comme si cette question eût été résolue depuis longtemps. Il lui semblait qu’il avait dormi, que pendant son sommeil quelqu’un lui avait parlé d’un juge et l’avait convaincu : puis, qu’au réveil, il avait oublié et le rêve et l’explication et se rappelait seulement qu’il y avait un juge, un juge tout à fait légitime, muni de pouvoirs immenses et menaçants. Et maintenant, après une seconde d’étonnement, il accueillait ce juge invisible avec simplicité et calme, comme on reçoit un bon vieil ami.

« Alecha, lui, ne comprend pas cela. Il ne parle que de nécessités gouvernementales. Est-ce