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LE GOUVERNEUR

aisé, sourdaient quelquefois, mais il ne pouvait savoir en quoi ce travail consistait. Seule, son humeur changeante, tour à tour maussade, hostile à tout, ou joyeuse, caressante, permettait de deviner le caractère de ce labeur énigmatique qui s’accomplissait dans les inaccessibles replis du cerveau généralement sombre, triste et désespéré ; chaque fois qu’il sortait d’une profonde rêverie, il lui semblait qu’il avait vécu en quelques heures une nuit infiniment longue et noire.

Pendant sa jeunesse, il était tombé dans une rivière rapide et profonde ; il avait failli s’y noyer : longtemps il avait gardé en son âme l’image informe d’une obscurité étouffante, d’une profondeur attirante, engloutissante, et de sa propre impuissance.

Et maintenant, il éprouvait quelque chose d’analogue.

Deux jours après le départ de son fils, par un matin calme et ensoleillé, il marchait ainsi dans les avenues et réfléchissait. Les feuilles jaunies tombées pendant la nuit avaient déjà été balayées et dans les sillons tracés par les balais se