Page:Andreïev - Nouvelles, 1908.djvu/73

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
63
LE GOUVERNEUR

cile qui arrange les corps comme du gibier ; en voyant ces pieds, j’ai pensé : « jamais ces pieds ne marcheront… » Tu ne veux pas me comprendre, Alexis. Le bourreau est aussi une institution nécessaire, mais l’être…

— Que dis-tu, père ?

— Je le sais, je le sens : on me tuera. Je n’ai pas peur de la mort — le gouverneur rejeta sa tête grise en arrière en regardant fièrement son fils, — mais je sais qu’on me tuera. Ne ris pas, tu es encore jeune, mais aujourd’hui, j’ai senti la mort ici, dans ma tête… dans ma tête…

— Je t’en prie, papa, fais venir des cosaques, demande de l’argent pour te protéger. On te donnera tout ce que tu voudras. Je t’en supplie, comme fils, et je t’en prie au nom de la Russie, qui a besoin de ta vie…

— Et qui me tuera, sinon la Russie ? Et contre qui enverrai-je des Cosaques ? Contre la Russie, au nom de la Russie ? Les Cosaques, les gardes à cheval, les agents de la police secrète peuvent-ils sauver un homme qui a la mort ici, sous son front ? Tu as un peu bu, ce soir, à souper, Ale-