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LE GOUVERNEUR

montures faisaient voler la poussière sous leurs fers. Les hommes avaient tous deux un air de soumission complète, et ils fixèrent leurs regards sur le dos du gouverneur sans plus les détacher de ce point. Le fonctionnaire feignit de ne pas les voir, et le gouverneur lui lança un regard maussade ; puis il se mit à réfléchir, ses deux mains gantées de blanc posées sur les genoux.

Pour parvenir à la villa, il fallait traverser les faubourgs, la « rue des Fossés » où des ouvriers d’usines et leurs familles, tous des miséreux, vivaient dans des masures en ruines ou des maisonnettes de briques à deux étages bâties par l’État. Le gouverneur aurait voulu saluer amicalement n’importe qui, mais la rue était déserte, comme s’il eût fait nuit ; on ne voyait même pas d’enfants. Un petit garçon se montra près d’une haie de sorbiers à feuilles rouges, mais il disparut aussitôt sous les arbustes, et se cacha dans quelque large fente. En été, des poules et des cochons de lait décharnés se promenaient dans la rue ; mais maintenant on n’en voyait pas ; sans doute, la grève avait tout englouti. Rien ne rappelait l’événement d’une façon directe ; mais