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LE GOUVERNEUR

Les familiers du gouverneur avaient surnommé le préfet de police « le Brochet » à cause de ses yeux incolores et écarquillés, de son dos long et étroit comme celui d’un poisson.

Le gouverneur ne répondit pas. Sur le perron, la fraîcheur automnale et la chaleur du soleil l’avaient saisi, comme si elles avaient eu une existence personnelle, et il les distinguait chacune à part, fraîcheur et chaleur. Le ciel aussi était agréable à voir, si lointain, si délicat, si magnifiquement bleu. Comme il ferait bon à la villa !

Il était déjà assis dans la voiture, et faisait place au fonctionnaire qui montait à gauche, quand un homme passa devant le perron en se baissant. Comme il soulevait sa casquette pour saluer, il couvrit son visage du coude ; le gouverneur ne vit qu’une nuque aux boucles blondes et un jeune cou halé ; il observa que l’individu marchait sans bruit, avec précaution, pieds nus, semblait-il, en se voûtant comme pour se dissimuler à lui-même ; le dos avait l’air de regarder en arrière. « Quel homme étrange et désagréable ! » pensa le gouverneur. Deux mes-