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LE GOUVERNEUR

il revoyait sans cesse le même tableau : un mouchoir blanc agité, des coups de feu, du sang.

En eux-mêmes, les faits, quoique tristes, étaient très simples : les ouvriers d’une fabrique des faubourgs, en grève depuis trois semaines, quelques milliers d’hommes accompagnés de femmes, de vieillards et d’enfants, étaient venus lui exposer leurs revendications ; comme gouverneur, il lui était impossible de réaliser ces demandes. Les grévistes s’étaient conduits d’une manière provocatrice et insolente : ils s’étaient mis à crier, à injurier les fonctionnaires ; une femme qui avait l’air folle l’avait tiré par sa manche avec tant de violence, que la couture de l’épaule avait cédé. Puis lorsque ses compagnons l’avaient entraîné jusqu’au balcon — car il voulait parler à la foule pour l’apaiser — les ouvriers avaient jeté des pierres, brisé plusieurs vitres de la maison et blessé le préfet de police. Alors il s’était fâché et avait agité son mouchoir.

La foule était si excitée que la salve avait dû être répétée ; il y avait beaucoup de morts : quarante-sept ; parmi eux neuf femmes et trois en-