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PRÉFACE

Beaucoup de sang précieux fut ainsi répandu. La malveillance des autorités supérieures prenait souvent une tournure tragique. Pour une seule poésie de jeune homme où il décrivait une fête d’étudiants, l’écrivain Poléjaief fut condamné par Nicolas Ier à être incorporé dans un régiment. Un jour même, il faillit être battu de verges, pour une faute légère. Sokolowsky, n’arrivant pas à se frayer une voie dans la littérature, abandonna la plume et chercha comme beaucoup d’autres l’oubli de sa déception dans l’alcool.

Pendant plusieurs années Herzen fut transféré d’un lieu d’exil à un autre jusqu’à ce qu’il parvînt à passer la frontière. Et combien terrible le sort d’un poète de grand talent, le petit russien Chevtchenko, qui fut pendant de longues années soldat dans un coin perdu de la Russie d’Europe, avec défense expresse d’écrire quoi que ce fût ou de s’occuper de peinture, art qu’il préférait entre tous. Enfin qui ne connaît la lugubre comédie qu’on joua à Dostoïewsky, en lui faisant subir tous les apprêts d’une exécution, avant son temps de bagne qu’il raconte dans ses célèbres souvenirs de la Maison des Morts.

i Nous sommes de malheureux parias, s’écriait Tourguénief. Nous n’osons exprimer ni nos pensées, ni les élans de notre âme — car ce serait pour nous la prison, la Sibérie… Selon moi, il serait