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PRÉFACE

Il est naturel que les hommes qui se sont donné la tâche de traduire en beauté les aspirations ardentes de ce peuple souffrent tout particulièrement de ce cruel état de choses. Sans parler de leurs angoisses morales, dont on peut se faire une idée par leurs écrits, la situation matérielle qui leur ait faite par les pouvoirs publics est peu enviable.

Il n’est pas aisé, en Russie, d’écrire ce qu’on pense. Tout écrivain se heurte à deux ennemis implacables : la censure et la police. La censure supprime tout ce qui ne lui plaît pas ; la police confisque les livres et emprisonne les auteurs. La littérature russe, à commencer par son grand représentant du siècle passé, le génial Pouchkine, jusqu’à notre époque, n’a pu dire qu’une petite partie de ce qu’elle avait à dire. Le fameux poète Niékrassof met en scène dans une de ses poésies un vieux soldat, ouvrier typographe, qui parle de Pouchkine :

« C’était un bon seigneur, dit-il, généreux sur le chapitre du pourboire. Seulement, il ne faisait que tempêter contre la censure et lorsqu’il voyait les croix rouges sur le manuscrit, il nous envoyait les épreuves à la tête. Je lui dis une fois pour le consoler ; « Cela n’ira pas plus mal ainsi ». Mais il s’écria : « Cela, c’est du sang qui coule, du sang, mon sang ! »