Page:Andreïev - Nouvelles, 1908.djvu/266

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
256
NOUVELLES

raska. Il était même un peu surpris : Bergamote était par trop bizarre !

— Mais non, ce n’est pas ce que je veux dire ! ânonna celui-ci, qui comprenait encore moins que l’ivrogne ce que racontait sa langue épaisse…

Ils arrivèrent enfin au but et Garaska cessa de s’étonner. Marie ouvrit d’abord de grands yeux à la vue de l’extraordinaire couple. Mais elle comprit à l’air troublé de son mari qu’il ne fallait pas le contredire ; son cœur de femme devina bien vite ce qu’elle devait faire.

Calmé et stupéfait, Garaska est assis devant la table servie. Il est si honteux qu’il aimerait que la terre s’ouvrît pour l’engloutir. Il a honte de ses guenilles, il a honte de ses mains sales, il a honte de tout son être ivre, dépenaillé, répugnant. Il se brûle en mangeant une soupe aux choux très chaude et très grasse ; il fait des taches sur la nappe et, quoique l’hôtesse ait l’air de ne pas s’en apercevoir, il se trouble et en fait encore davantage. Comme ils tremblent, ces doigts recroquevillés aux grands ongles noirs que leur propriétaire remarque pour la première fois !