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BERGAMOTE ET GARASKA

— Je… voulais te féliciter, te donner un œuf, comme un bon chrétien, et toi… gémit l’ivrogne ; mais l’agent avait compris. Voilà donc ce que voulait l’ivrogne : il voulait lui donner un œuf de Pâques, selon l’usage chrétien, alors que lui, Bergamote, se disposait à le conduire au poste. Dieu sait depuis quand Garaska le portait, cet œuf, et maintenant, il était cassé ! Et l’ivrogne pleurait. Bergamote se représenta quel chagrin il aurait, lui, si l’œuf de marbre destiné à son petit garçon, se brisait aussi.

— Ah ! quelle histoire ! grommela-t-il en hochant la tête ; il regarda l’homme étalé à ses pieds et se sentit pris de pitié comme pour quelqu’un que son frère eût cruellement offensé.

— Il voulait me donner un œuf de Pâques !… Il a aussi une âme vivante, se dit l’agent, essayant gauchement de se rendre compte de la situation et de ce sentiment complexe de honte et de commisération qui le tourmentait de plus en plus. Et moi, je le conduisais au poste ! Vois-tu ça !

Lourdement, il s’accroupit à côté de Garaska ; son sabre cliqueta en heurtant la pierre.