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BERGAMOTE ET GARASKA

veraines dans le quartier, occupaient aussi une position inexpugnable dans l’âme de Bergamote. Quant à ce qu’il ne savait pas, il se taisait avec une telle obstination, que les initiés eux-mêmes semblaient éprouver quelque honte de leur savoir. Le point essentiel, c’était que Bergamote possédait une force incommensurable : et la force était tout, dans la rue Pouchkari. Peuplée de cordonniers, de tilleurs de chanvre, de maçons et autres représentants des corps de métiers, riche de deux cabarets, la rue Pouchkari vouait toutes ses heures de loisir du dimanche et du lundi à une lutte homérique, à laquelle prenaient part les femmes débraillées et échevelées, qui séparaient les maris, et les petits enfants, spectateurs ravis des exploits des papas. Toute cette tumultueuse vague de Pouchkaris ivres se brisait contre l’inébranlable sergent de ville, comme contre une digue de pierre. De sa main puissante il saisissait méthodiquement un couple des braillards les plus extravagants et le mettait « à l’ombre ». Les turbulents se soumettaient docilement à Bergamote et ne protestaient que pour la forme.

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