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PRÉFACE

actes les plus insensés. Andréief dépeint aussi l’isolement moral de l’être humain pour qui le monde est devenu un désert et la vie un jeu d’ombres ; il montre combien l’abîme qui sépare ce malheureux des autres hommes le rend faible, inconscient, misérable. Et, de fait, y a-t-il infortune plus profonde que celle de se sentir seul au milieu de ses semblables ?

Ce qui constitue donc l’essence du talent d’Andréief, c’est une impressionnabilité extrême, une audace dans la description des côtés négatifs de la réalité, des mélancolies, des douleurs de l’existence. Sous ce rapport, il a continué l’œuvre d’Edgar Poe, dont l’influence sur lui est incontestable. Une même passion pousse ces deux écrivains à l’étude de la solitude, du silence, de la mort. Mais, tandis que la fantaisie de l’auteur américain erre librement à travers le monde et les siècles, tandis que les personnages qu’il met en scène habitent des châteaux croulants, des rochers escarpés, et rêvent d’exploits glorieux, Andréief s’attache à la réalité immédiate. Ses héros sont les gens qu’il voit autour de lui ; ils habitent les sous-sols humides, les maisons sordides ; leur vie banale se termine par une mort banale. Et c’est ce réalisme qui fait la force et la beauté de ses œuvres.

À les lire, on se convainc que le drame naît précisément de la vitalité indestructible des senti-