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NOUVELLES

pu partir pour longtemps, pour toujours, et mourir là-bas, dans un pays inconnu, où son oreille aurait entendu, à sa dernière heure, un langage étranger. Et il comprit qu’il ne pouvait vivre sans patrie, qu’il ne pouvait être heureux tant qu’elle était malheureuse. Ce nouveau sentiment était fait d’une puissante joie et d’une douleur non moins intense, primitive, à mille voix ; et ces voix, brisant les chaînes dans lesquelles languissait son âme l’avaient mêlée à l’âme du prochain inconnu, à l’âme de la multitude souffrante. Il sembla à Tchistiakof que des milliers de cœurs ardents battaient dans sa poitrine malade et torturée. Il dit en pleurant des larmes brûlantes :

« Patrie, prends-moi ! »

En bas, Raïko recommença à chanter, et les sons angoissés et irrités de la chanson étaient sauvages, libres et audacieux.