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NOUVELLES

chanter, il se leva et ferma la porte à double tour. Sans savoir pourquoi, il revint à la fenêtre sur la pointe des pieds.

— Allons ! se dit-il, et il se mit à chanter un air sans paroles, mais le son de sa voix était si ténu, si hésitant, il mourait si lamentablement, que Tchistiakof en fut effrayé ! « Il faut chanter des paroles, ce sera mieux ! » pensa-t-il comme pour s’excuser, et il en chercha. Une multitude de vocables passèrent dans son cerveau, mais il n’y en avait aucun qu’inspirât l’amour de la patrie. L’étudiant avait beau tendre son esprit, mettre en travail sa mémoire et son imagination, chercher dans le passé, dans les livres qu’il avait lus, il trouva beaucoup de paroles sonores et belles, mais aucune qu’un fils souffrant pût adresser à sa mère-patrie. Il devinait que le mot était proche, il le voyait presque et il savait ce qui le différenciait des autres : ceux-ci étaient plats et pauvres comme les mendiants au seuil de l’église, tandis que le vrai mot était couvert de sang et de larmes, ou pareil à un charbon ardent, à la lumière d’une flamme divine. Mais il ne parvenait pas à le trouver. Et il se sentait nul et misérable, sem-