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L’ÉTRANGER

— Tiens, prends cet argent, Raïko !

— Laisse-moi tranquille ! dit le Serbe. Laisse-moi tranquille, je t’en prie. Va vers les tiens, moi, je resterai seul. Le cœur me fait très mal.

Mais Tchistiakof n’alla pas vers les siens, il se dirigea vers sa chambre, s’assit sur la tablette de la fenêtre, comme Raïko, et se mit à regarder le ciel, où, le même soir, il avait lu une si bonne nouvelle. Les gigantesques oiseaux blancs passaient toujours avec la même rapidité ; entre eux, le ciel infini et noir se montrait, mais maintenant ce vol libre était froid et ne disait plus rien à l’étudiant songeur.

— Moi aussi, je m’envolerai, se dit Tchistiakof en essayant d’éprouver à nouveau une impression de liberté et de légèreté, mais ce fut un sentiment vague et autoritaire qui s’éveilla en son âme, s’y débattant comme un oiseau emprisonné. Et il comprit : comme Raïko, il avait passionnément envie de chanter, et de chanter aussi sa patrie. Il fut heureux d’avoir compris, il sourit, sentant les larmes brûlantes renfermées dans sa poitrine. Il ouvrit les lèvres, mais, embarrassé à l’idée que l’on pouvait entrer et le surprendre en train de