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NOUVELLES

leur, à lui, le petit Raïko, séparé de sa mère-patrie, de sa patrie malheureuse et torturée.

Si Tchistiakof ne comprenait pas les paroles, il entendait la mélodie ; et les sons primitifs, sauvages et rudes comme le gémissement de la terre elle-même, ressemblaient plutôt aux lamentations d’un chien abandonné qu’à un chant humain, tant ils étaient pleins d’angoisse inguérissable, de haine brûlante, tant ils montraient le cœur déchiré du chanteur.

Raïko s’arrêta sur une note aiguë, prolongée et furieuse, et les deux étudiants restèrent long temps assis sans parler. Puis Tchistiakof s’approcha et vit les yeux secs et irrités du Serbe, étincelants comme ceux d’un loup.

— Raïko ! dit-il, il y a longtemps que tu n’as pas été en Serbie. Vas-y, je te donnerai de l’argent, j’en ai de trop.

— Il y a là-bas une maison… fit Raïko pensif.

— Quelle maison ?

— Une maison ! Tu ne sais donc pas comment sont les maisons ? C’est une maison comme les autres. Quand le chariot passe devant, il grince : ouaï, ouaï. C’est la maison de ma mère…