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L’ÉTRANGER

sans répit toute la journée, mais aussi pour quelque chose d’impersonnel et de grand qui avait besoin de calme, d’amour et de paisible repos.

Une conversation tapageuse et gaie le fit revenir à lui. On taquinait de nouveau Raïko Voukitch. Contre son habitude, celui-ci se taisait, promenant de l’un à l’autre son regard acéré en agitant son menton fendu, aux poils hérissés.

— Dis donc, Raïko, demandait Vanka Ivostiourine, tout le monde a-t-il le nez crochu comme toi, en Serbie ?

Raïko répondit lentement :

— Dernièrement, un Serbe, Boyovitch, a été égorgé à la frontière. Les Turcs l’ont égorgé.

Et les étudiants se représentèrent nettement un Serbe assassiné, ce Boyovitch au visage d’une pâleur cadavérique et au nez crochu comme Raïko, mais avec une large blessure noire à la gorge. Avec un rire forcé, Kostiourine dit :

— Cela n’a pas d’importance, il en reste encore tant !

Raïko se hérissa, pâlit, les poils de son menton fendu se mirent à trembler et sa voix devint métallique et tranchante :