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L’ÉTRANGER

la fête lui-même, basse puissante et harmonieuse, puis un étudiant blond, un ténor. Un silence se fit après ; la basse reprit lentement ; Tchistiakof frissonna, tant inattendue était la beauté de la mélodie.

Bon-ne-nuit-à-tous-ceux-qui-sont-fa-ti-gués !

Puissants, majestueux et contenus, les sons étaient pleins d’une paix solennelle, d’une tristesse profonde, d’un amour indicible : quelqu’un d’aussi grand et sombre que la nuit elle-même, quelqu’un qui voyait tout et qui était par conséquent pitoyable, et infiniment triste, enveloppait doucement la terre d’un linceul caressant. Assurément cette voix magique devait aller jusqu’aux limites extrêmes du monde. « Mon Dieu, c’est de nous qu’il est question, c’est de nous ! » Et de tout son corps, il se tendit vers les chanteurs.

Lorsque le dernier son eut expiré, le ténor répéta le même chant : c’était comme la réponse de la terre à cet hymne caressant et consolant, une prière suppliante :

Bonne nuit à tous ceux qui sont fatigués !…

Et une voix de basse, mâle et langoureuse, se