Page:Andreïev - Nouvelles, 1908.djvu/234

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
224
NOUVELLES

presque rien de chez lui et était entretenu par ses camarades ; c’était Vanka Kostiourine qui payait la part de loyer du Serbe. Cet argent rendit Tchistiakof plus calme et plus résolu. Il passait des soirées entières dans sa chambre, rêvant à la vie qu’il mènerait à l’étranger, emballant déjà ses bagatelles. Et tandis qu’il emballait, son cœur se remplissait d’une tristesse douce, transparente et pure comme l’eau de source, une mélancolie causée par quelque chose de mystérieux, de lointain et de cher ; il lui semblait constamment qu’il oubliait de prendre une chose précieuse et importante, dont l’absence causerait mille désagréments.

Il traitait ses camarades avec plus de douceur, ne se fâchant plus contre eux et se contentant de les plaindre. Il les plaignait, parce qu’ils buvaient tant et que leur vie serait terne, monotone comme celle de tout le monde, et qu’ils ne parviendraient à accomplir aucune des belles choses qu’ils rêvaient. La vie étrange, inorganisée, pareille à un cauchemar, les engloutirait comme elle avait englouti des milliers d’existences, et tous leurs efforts pour se créer une vie meilleure seraient