Page:Andreïev - Nouvelles, 1908.djvu/225

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
215
L’ÉTRANGER

porte où, sur le lit défait, et de là, chétif, résolu, il regardait au loin de ses yeux brillants.

Les camarades vivaient joyeux et indolents, avec toute l’insouciance de la jeunesse et de la santé, comme si hier ni demain n’existaient pas pour eux, non plus que les problèmes de la réalité maudite. Large d’épaules, velu, Tolkatchef, au gros cou, aux petits yeux obtus, montrait la force de ses muscles, soulevait des poids, obligeant tout le monde à l’admirer ; il appartenait à une société de gymnastique, ne reconnaissait que la force et méprisait ouvertement l’Université, les étudiants, et toutes les sciences. On le haïssait, mais on avait peur de son incroyable force, de sa grossièreté ; on n’osait pas parler mal de lui, même en son absence.

Un second locataire, Panof, hachait de l’oignon pour le manger avec un hareng. Le Serbe Raïko Voukitch, petit, maigre, nerveux, au nez bossué, aux moustaches tombantes, au menton pointu et partagé, où croissait une barbe piquante, regardait le flacon d’eau-de-vie et attendait qu’on le servît. Ce Raïko était un garçon bizarre. A jeun, il restait silencieux, mais quand il avait un peu