Page:Andreïev - Nouvelles, 1908.djvu/221

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
211
L’ÉTRANGER

Lorsque ce dernier venait le soir au numéro 64, avec son air souffreteux, sa physionomie ravagée par le labeur du jour, il était accueilli avec une pointe d’ironie et de malveillance.

— Voilà l’étranger qui arrive ! annonçait Vanka Kostiourine. Et tous les étudiants riaient, car Tchistiakof n’avait vraiment rien d’un Occidental, avec ses longs cheveux, son visage maigre, sa chemise bleue qui se montrait sous sa veste. De plus, sa manière de parler même était tout à fait grand’russienne : douce, soignée et arrondie.

Les étudiants ne l’aimaient pas, parce qu’il était complètement indifférent à leur vie, dont il ne comprenait pas les joies ; et surtout parce qu’il ressemblait à un homme qui attend un train à la gare, fume, parle, semble parfois se laisser entraîner, mais, en réalité, ne quitte pas l’horloge des yeux. Il ne parlait jamais de lui-même, et personne ne savait pourquoi, à vingt-neuf ans, il n’était qu’étudiant de seconde année. En revanche, il aimait beaucoup à parler des pays étrangers, de la vie qu’on y menait. Et à toutes les personnes dont il faisait la connaissance, il annonçait avec enthousiasme quelque nouvelle qu’il