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PRÉFACE

Et maintenant dégoûté de tout, il ne pouvait comprendre qu’on aimât la vie, comme l’aimait ce diacre, « ce sot » étendu dans le Ut voisin. Il considérait attentivement son petit visage blême, qui se confondait avec le linge blanc de l’oreiller et des draps et il murmurait avec pitié : « Imbécile ! ».

Mais la mort approche ; cet homme qui se croit supérieur et qui qualifie le diacre d’imbécile, parce qu’il rêve de la lumière du soleil, de son pommier et d’autres « futilités », se sent troublé d son tour. En faisant le bilan de cette existence qu’il s’imaginait haïr, il se souvient de la bonne lumière qui, pendant la journée, pénétrait par la fenêtre et dorait le plancher ; il se rappelle comment le soleil brillait sur les bords de la Volga, dans son pays natal. Avec un sanglot, il se laisse tomber en arrière sur le lit, tout contre le diacre qu’il entend pleurer silencieusement.

« Et ainsi ils pleurent ensemble. Ils pleurent le soleil qu’ils ne reverront jamais, les pommiers qui désormais produiront des fruits sans eux, l’ombre qui va les envahir, la chère vie et la mort cruelle ! »

« Le silence emportait leurs sanglots et les mêlait aux ronflements des gardes-malades, fatigués par le labeur du jour, au gémissement et à la toux des malades, à la respiration épaisse des convalescents… »