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NOUVELLES

cesse. Le soir, rentré chez lui, il apprenait le français.

Il avait décidé de se fixer à Paris où se trouvait depuis un an déjà un vieux camarade qui, dans de longues lettres enthousiastes, le suppliait de le rejoindre.

Mais il arrivait parfois, le soir, qu’un bruit pareil à l’eau tombant de la roue d’un moulin, résonnait dans la tête du jeune homme ; devant ses yeux fatigués défilaient les visages hargneux de ses élèves, et il éprouvait une violente douleur au côté gauche. Alors, il lui était impossible de travailler, il se couchait, comptait ses économies et rêvait de sa vie de Paris ; ou bien il descendait dans la chambre numéro 64, où les étudiants du « Pôle Nord » — c’était le nom du garni où il habitait — avaient l’habitude de se rassembler. Il n’aimait pas ces jeunes gens, pas plus qu’il n’aimait tout ce qui l’entourait : ni les rues où il passait, ni la chambre où il vivait, ni cette existence discordante, chaotique, grossière, barbare et idiote. Et même, les gens qu’il rencontrait dans la rue ou dans les maisons, lui semblaient inférieurs aux barbares : ceux-ci étaient auda-