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NOUVELLES

cevant un officier, il se redressa aussitôt et porta la main à la visière.

Koukouchkine devait descendre du sommet de la colline jusqu’au pont. Au delà de la rivière, derrière les rangées des cheminées de la ville, qui laissaient échapper des colonnes de fumée blanche et épaisse, s’étendaient dans le lointain les champs couverts d’une neige qui étincelait au soleil. Malgré l’éloignement, on distinguait une route et une longue ligue de charrettes immobiles. À droite, une forêt se dessinait dans une vapeur bleuâtre. À la vue de la campagne blanche et pure, un sentiment de révolte amère envahit de nouveau le cerveau de Koukouchkine. « Et moi, il faut que je reste en ville ! » pensa-t-il avec une colère mêlée de désespoir.

Trois semaines auparavant, il avait rencontré au marché un compatriote qui, lui rapportant les dernières nouvelles de Sabakino, l’avait replongé dans le monde enchanté du village : enchanté, parce que Koukouchkine était né à la campagne et y avait vécu jusqu’à ce qu’une volonté étrangère l’en eût arraché. L’ordonnance avait un peu oublié la vie campagnarde, mais les récits de son