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NOUVELLES

vaporeux et agréable vacillait devant lui, lui dissimulant tout ce qui n’était pas la quatrième compagnie du bataillon avec son juif Abramka, ses parties de cartes à petit enjeu, ses ordres du jour du régiment et autres occupations journalières.

Mais, deux fois par an, l’allié du capitaine devenait son pire ennemi. Avec une netteté et une cruauté atroces, l’officier voyait combien sa vie était dépourvue de sens, et alors, s’enivrant deux semaines de suite, il restait chez lui, en chemise, le visage boursouflé, écarlate. Il geignait et se plaignait à ses camarades d’avoir été sacrifié. Quand ceux-ci abandonnaient à lui-même l’officier abruti, intoxiqué par le poison alcoolique, le capitaine appelait son ordonnance, et, faisant un dernier effort pour garder sa dignité, lui racontait d’une voix sévère que lui, son supérieur, était un homme bon, mais incompris. Et si l’ordonnance lui-même s’éloignait de « Sa Noblesse » démente, Sa Noblesse pleurait, solitaire, la tête sur la table, sans savoir pourquoi, mais avec d’autant plus d’amertume, de douleur et de sincérité. L’accès d’ivrognerie passé, Kabloukof avait