Page:Andreïev - Nouvelles, 1908.djvu/194

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
184
NOUVELLES

tres très. Il composa une liste de vins et de hors-d’œuvre et la donna avec un certain mécontentement à son ordonnance, qui répéta comme un perroquet : « Bien », « Compris ». Mais, plus il avait « compris », plus aussi il avait l’air distrait et sombre. Le capitaine aurait même cru voir du sarcasme dans ses yeux, s’il n’avait su par expérience que Koukouchkine était bête et incapable de toute ironie. Le montant des achats devait s’élever à une dizaine de roubles ; le capitaine n’avait qu’un billet de 25 roubles, qu’il remit à Koukouchkine. Espérant encore égayer son ordonnance et lui faire prendre une part plus active à la vie réelle, Kabloukof lui offrit un verre d’eau-de-vie, motivant cette attention par le froid qui sévissait. Koukouchkine se signa, avala l’eau-de-vie, mais sans grogner ni remercier, selon sa coutume ; il se contenta d’essuyer ses lèvres avec exaspération, comme s’il eût voulu effacer toutes les traces de sa concession servile. Quelques minutes plus tard, la porte de la cuisine se fermait avec fracas.

— Quelle mouche l’a piqué ? se demanda le capitaine. Autrefois, il était à peu près supportable, mais maintenant, il est comme fou ; avant-