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LE GOUVERNEUR

pensait jamais à la survivance possible, à une autre vie ou à un jugement ; pour lui, tout finissait sur la terre. Il mangeait avec son appétit habituel et il dormait bien, sans cauchemar.

Mais une nuit c’était trois jours avant qu’il fût assassiné — il eut sans doute un rêve pénible, car il fut réveillé par ses propres gémissements, sourds et rauques. En entendant sa voix, qui lui parut extraordinaire et terrible, et en ouvrant les yeux sur les ténèbres, il ressentit une terreur et une lassitude mortelles. Remontant la couverture sur sa tête, il se pelotonna sur lui-même, mit ses genoux anguleux à la hauteur de son visage et, comme s’il eût parcouru en une seconde toute la distance qui sépare la vieillesse de l’enfance, il se mit à pleurer amèrement, le visage enfoui dans son oreiller.

— Ayez pitié de moi ! Venez à moi, n’importe qui ! Pitié ! pitié ! oh ! oh ! oh !

Mais son grand vieux corps et sa voix rude et sonore lui redevinrent familiers bientôt ; à travers ses larmes, il prit conscience de lui-même et de sa pose étrange ; il se tut.

Longtemps, il resta silencieux, toujours pelo-