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NOUVELLES

était mortellement isolé, lui qui avait rejeté le manteau de la politesse et de l’habitude, mais il ne s’en apercevait même pas, comme si pendant tous les jours de son existence longue et agitée, la solitude eût été son état naturel et inviolable, sa vie même.

Le matin, il oubliait de dire bonjour, le soir, de prendre congé ; et quand sa femme lui tendait sa main à baiser, et sa fille Zizi son front lisse, il semblait ne pas comprendre ce qu’il devait faire de cette main et de ce front. Lorsque des visites, le vice-gouverneur et sa femme, ou Koslof, arrivaient pour le déjeuner, il ne se levait même pas pour les accueillir, ne prenait pas un air enchanté et continuait simplement à manger. À la fin des repas, il ne demandait pas à Marie Pétrovna la permission de se lever, il s’en allait sans mot dire.

— Où vas-tu, Pierre ? reste avec nous, nous nous ennuyons. On va servir le café ! disait-elle.

Il répondait d’un ton calme.

— Non, j’aime mieux aller chez moi. Je ne veux pas de café.