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NOUVELLES

police donna l’alarme et Marie Pétrovna insista auprès de son mari pour qu’il envoyât le jour même à Pétersbourg sa demande de congé ; elle se rendit en personne chez la couturière et écrivit de son propre chef une lettre en français, pleine de terreur, à son fils.

Et, sans que personne eût pu dire quand cela arriva, si c’était ce jour-là, un peu avant ou un peu après, une transformation étrange et absolue se produisit chez le gouverneur et lui donna un nouvel aspect. Il était bien le même, mais son visage et les jeux de sa physionomie exprimaient la vérité ; c’est pourquoi il semblait que sa figure était nouvelle. Il souriait de ce qui le laissait indifférent jadis, il était mécontent de ce qui lui plaisait autrefois, indifférent et ennuyé là où il manifestait jadis de l’intérêt et de l’attention. Il devint aussi bizarrement véridique dans ses sentiments et ses manières : il se taisait quand il en avait envie, s’en allait s’il le désirait, se détournait d’un interlocuteur dès que celui-ci devenait ennuyeux. Et ceux qui, pendant de longues années, avaient été sûrs de posséder son affection et son amour, de connaître tous ses senti-