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LE GOUVERNEUR

leurs peines et leurs souffrances antiques, pour que vous leur donniez des conseils pleins de sagesse et d’amour, vous qui êtes un homme éclairé et humain du vingtième siècle. Et qu’avez-vous fait ? Il faut supposer que votre grand-père pratiquait la traite d’esclaves, qu’il les frappait avec son fouet et qu’il vous a transmis cette stupide haine pour le peuple ouvrier. Monsieur ! Le peuple se réveille ! Jusqu’à maintenant, il n’a fait que se tourner de côté et d’autre dans son sommeil, et déjà les soutiens de votre maison craquent. Attendez et vous verrez ce qui se passera quand il sera tout à fait éveillé. Mes paroles sont nouvelles pour vous, pensez-y ! Et maintenant, je vous demande pardon de vous avoir retenu si longtemps, et au nom de la « fraternité » je souhaite que vous ne soyiez pas tué. »

— On me tuera ! se dit le gouverneur, en posant la lettre.

Il se rappela l’ouvrier Iégor avec ses cheveux noirs ; puis il se plongea dans quelque chose d’informe et d’immense comme la nuit. Il n’avait plus de pensée, de révolte, ni d’acquiescement. Il s’appuyait contre le poêle froid — la