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LE GOUVERNEUR

— Prenez ma vie, elle est à vous, mais mon honneur…

Il n’acheva pas, et rejetant en arrière sa tête, à l’expression un peu ridicule tant elle était grave, il revint à la table…

« Je dirai même que d’une manière générale vous êtes un honnête homme — et que vous ne feriez pas de mal à une mouche, à moins qu’on ne vous l’ordonne. Mais que vous, un honnête homme, vous puissiez accepter des ordres pareils, c’est ce que je ne puis admettre, Monsieur ! Le peuple n’est pas une mouche. Le peuple est sacré et si vous compreniez ce que c’est que le peuple et ses souffrances, vous descendriez sur la place, vous vous mettriez à genoux pour demander pardon. Pensez plutôt : de race en race, de génération en génération, depuis les premiers esclaves qui élevèrent les pyramides, fantaisie d’un tyran, nous menons la même existence ; et de même que parmi vous, il y a des nobles, c’est-à-dire des oppresseurs héréditaires, de même parmi nous, il y a des ouvriers, des esclaves héréditaires. Dites-vous que pendant ces milliers d’années, on nous a frappés et opprimés sans relâche ; aussi