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LE GOUVERNEUR

donnait son âme avec soumission, tandis qu’une angoisse noire, mortelle, l’enveloppait d’un brouillard impénétrable.

C’est pourquoi toutes les femmes de la « rue des Fossés » semblaient méchantes ; elles grondaient les enfants, les rouaient de coups, se querellaient entre elles ou avec leur mari, et leur bouche était pleine de reproches, de plaintes et de haine.

Pendant la grève, alors que plusieurs jours de suite on n’allumait pas les fourneaux, les femmes se reposèrent — de l’étrange repos du malade qui cesse de souffrir quelques minutes avant sa fin. La pensée se libérant pour un instant de son cercle de fer, s’attachait de toute sa force à l’espoir d’une vie nouvelle, comme si la lutte se livrait au nom d’un affranchissement complet des entraves perpétuelles et non pour l’augmentation mensuelle de quelques roubles que réclamaient les hommes. En enterrant les enfants, morts d’épuisement, on les pleurait avec des larmes de sang ; pendant ces jours atroces, accablées par le chagrin, la fatigue et la faim, les femmes furent douces et bonnes, comme elles ne