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NOUVELLES

que ce fût. Quelqu’un de très fort, de très puissant même, et qui frapperait à coup sûr, devait prochainement tuer le gouverneur ; voilà tout ce qui résultait des conversations.

L’agent Grigorief, feignant d’être ivre, entendit un dimanche, dans un cabaret, un de ces colloques mystérieux. Deux ouvriers qui avaient beaucoup bu, étaient attablés devant une bouteille de bière et, se penchant par-dessus la table au risque de faire tomber les verres en gesticulant, ils conversaient à mi-voix.

— On lui jettera une bombe ! dit l’un, qui paraissait le mieux informé.

— C’est vrai, une bombe ? répéta l’autre surpris.

— Oui, une bombe — l’homme tira de sa cigarette une bouffée de fumée qu’il envoya dans les yeux de son interlocuteur et ajouta d’un ton important et positif : « elle le déchirera en mille morceaux ».

— On dit que ce sera le neuvième jour après l’affaire.

— Non, affirma l’ouvrier en se renfrognant, pour exprimer le plus haut degré de négation.