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LE GOUVERNEUR

coins sombres, des champs, des bois, des ravins, chancelantes, boiteuses, aveugles, soumises, fatidiques.

C’est ainsi, sans doute, qu’aux temps lointains et obscurs où il y avait des prophètes, où il y avait moins de pensées et de mots, où la loi menaçante qui voulait la mort pour venger la mort était jeune elle aussi, où les fauves étaient amis de l’homme, en ces temps étranges et lointains, c’est ainsi sans doute que le transgresseur devenait accessible à la mort : l’abeille le perçait de son dard, le taureau le frappait de ses cornes pointues, et la pierre retardait l’heure de sa chute pour briser le crâne nu ; la maladie le rongeait à la vue des hommes, comme le chacal déchire la charogne ; et toutes les flèches, changeant leur direction, visaient le cœur noir et les yeux baissés ; les rivières, modifiant leur parcours, minaient le sol sous ses pas ; le maître de l’océan lui-même jetait sur la terre ses flots hérissés et, par ses hurlements, chassait le transgresseur dans le désert. C’étaient mille morts, mille tombes. Le désert l’ensevelissait sous son sable fin ; le vent hululant pleurait ou se moquait