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NOUVELLES

bout de quelque temps, puisant ses informations à la même source invisible que les autres gens, elle aurait su que le gouverneur serait tué, que sa mort était inévitable.

Les pensées étaient diverses comme les mots qui les exprimaient, mais le sentiment était le même — un sentiment puissant, énorme, général et victorieux, semblable à la mort par sa force et son impassibilité en face des paroles. Né dans l’ombre, formé lui-même de ténèbres impénétrables, il régnait en maître menaçant ; en vain les gens essayaient de l’éclairer par la lumière de leur raison.

On eût dit que l’antique loi du talion, elle-même, exigeant la mort pour châtier la mort, qui s’était endormie et semblait morte aux gens peu perspicaces, avait ouvert ses yeux froids, vu les hommes, les femmes, les enfants tués, et étendu sa main autoritaire et impitoyable sur la tête de l’assassin. De sorte qu’après une feinte résistance, les gens se soumettaient à l’ordre et s’éloignaient de l’homme ; il devenait ainsi accessible à toutes les espèces de morts qui existent au monde ; elles le menaçaient de partout, de tous les