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LA VIE D’UN POPE

De nouveau tout s’efface ; ses yeux éteints s’allument d’un feu errant et glacial, le sentiment de sa force inonde tout son corps, ses muscles d’acier ; et, doucement, doucement, comme s’il craignait de réveiller quelqu’un, il demande :

— Seigneur, Tu veux donc me tromper ?

Les yeux baissés, il attend une réponse ; puis il reprend toujours à voix basse, avec une intense expression de menace, la menace puissante et calme de l’orage, qui, déjà maître de toute la nature, s’attarde encore, et joue avec une grâce souveraine, à balancer dans l’air quelque plume d’oiseau :

— Alors, pourquoi ai-je cru ? Pourquoi m’as-Tu donné l’amour des hommes et la pitié, si c’était pour Te jouer de moi ?… Et pourquoi donc T’ai-je donné ma vie ? J’étais Ton esclave enchaîné, Ta chose, je n’avais plus une pensée à moi, pas un amour, pas un soupir ! je n’étais que par Toi ! je n’étais que pour Toi ! pour Toi seul ! Allons ! parais maintenant, j’attends !