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LA VIE D’UN POPE

fenêtre, leur bruit s’éteint ; un long et douloureux soupir rompt le silence… Qui donc a soupiré ? Il se penche sur la bière, épie dans le visage enflé et difforme les premiers tressaillements de la vie, ordonne impatiemment aux yeux : « Mais ouvrez-vous donc ! » se penche plus près, plus près encore, les mains crispées sur les bords coupants du cercueil, effleure presque les lèvres bleuies, y souffle la chaude haleine de la vie… ; et voici que le cadavre, irrité dans son repos, lui souffle en pleine face l’haleine froide et empestée de la mort !

Le pope se tait maintenant, et, l’espace d’une seconde, il voit, il comprend tout. Il sent l’odeur de mort ; il s’aperçoit que le peuple épouvanté a déserté l’église, qu’il y est maintenant seul à seul avec le cadavre… Un souvenir d’autrefois, un souvenir effacé, lointain, traverse sa mémoire : c’était au printemps, un rire jaillissant dans la campagne et vite éteint… ; et puis cette tourmente d’hiver et le son des cloches dans la tempête… et le masque immobile de l’idiot !