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LA VIE D’UN POPE

— Qu’est-ce qui te prend ? tu perds le sens ?

— C’est encore une chose à savoir, qui de nous deux a perdu le sens… Qu’est-ce que tu as, à venir traîner ici tous les matins en répétant : « Je prie ! je prie ! » vociféra le marguillier d’une voix de prêche. Ce n’est pas ainsi qu’on prie ! Souffre et endure, au lieu de crier : « Je prie. » Un imposteur, une canaille, voilà ce que tu es ! Tu veux plier tout le monde à tes façons…, et c’est toi qui plies, en attendant… Où est Sémione, dis ? où est Sémione ? Le moujik que tu as fait périr ! Où est Sémione ? allons, parle !

Il se tourna brusquement vers le pope… pour entendre une voix brève et impérieuse laisser tomber ces mots :

— Éloigne-toi de l’autel, impie !

La face empourprée de colère, Ivan Porphyritch leva la tête, et resta figé sur place, la bouche ouverte ; des yeux profonds le regardaient, des yeux noirs et sans fond comme l’eau d’un étang ; une vie puissante se dégageait de ces yeux, une volonté im-