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LA VIE D’UN POPE

Mais le père Vassili ne voyait ni le soleil, ni la chute des pommes : il songeait.

Sa songerie était merveilleuse ; elle était radieuse et sereine comme l’air du pur matin ; elle illuminait sa conscience, jusqu’alors obscurcie de soucis absorbants et mesquins. Là où il n’avait vu que le chaos aveugle et féroce, le hasard implacable, c’était au contraire la route droite et tutélaire tracée devant lui par une main toute-puissante.

Pour l’arracher à sa famille, à sa maison, aux bas intérêts de la vie usuelle, cette main l’avait jeté au creuset de la douleur humaine, et maintenant elle le guidait vers la grande action, vers le grand sacrifice.

Et cette colonne de feu et de fumée, si tragiquement apparue, il y a quelques heures, n’était-ce pas justement la colonne de feu qui montrait aux Juifs la route dans le désert ? Il pensa encore : « En aurai-je la force ? » et la réponse fut une lueur illuminant son âme, comme si le soleil y eût soudain pénétré.