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LA VIE D’UN POPE

sauver que l’idiot à demi-mort de frayeur et quelques meubles ; quant à la popadia, elle avait été si cruellement brûlée, qu’on l’avait emportée sans connaissance et ne respirant plus qu’à peine.

Lorsque ces faits furent rapportés au père Vassili, tous les assistants s’attendaient à une explosion de douleur et de larmes ; aussi furent-ils stupéfaits de l’attitude du pope ; le cou tendu en avant, l’air concentré, il écoutait avec une telle attention que ses lèvres se pinçaient : on eût dit qu’il savait déjà par avance tout ce qu’on allait lui raconter, et qu’il se bornait à vérifier le récit ; on eût dit que, dans cet instant bref et tragique, où, les cheveux épars et le regard rivé aux poutres enflammées, il accourait d’un train enragé dans la télègue bondissante, il avait tout deviné, la cause de l’incendie, la perte de sa femme et de tout son patrimoine, la survivance de l’idiot et de Nastia.

Un moment, il resta silencieux, les yeux baissés ; puis, rejetant la tête en arrière, il fendit la foule et marcha résolument vers la