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LA VIE D’UN POPE

preinte d’une idée profonde et opiniâtre se lisait dans sa démarche lourde, dans la lenteur indécise de son parler, où, parmi les mots usuels, bâillaient les trous noirs des pensées qui se cachent ; elle était comme un voile tendu devant son regard scintillant d’un feu terne et lointain, sous les sourcils saillants.

Et cette idée était celle-ci : il y avait une toute petite terre, et sur cette terre le père Vassili vivait seul, avec son grand chagrin.

Or voici que la terre avait grandi et s’était peuplée d’êtres pareils au père Vassili ; chacun d’eux avait sa propre vie, ses propres souffrances, ses espoirs et ses doutes ; et, au milieu d’eux, le père Vassili se sentait comme un arbre isolé dans les champs, autour duquel a poussé tout à coup une forêt touffue et sans bornes.

La solitude avait pris fin, mais avec elle, le soleil s’était voilé ; les lointains vides et clairs avaient disparu, et les ténèbres de la nuit s’étaient faites plus denses.