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LA VIE D’UN POPE

l’on eût dit qu’il se durcissait sous l’averse des douloureuses confidences du moujik. Sa respiration était profonde et saccadée, comme s’il suffoquait dans ce réseau de cruelles insanités, qui s’enroulait lentement autour de lui, tels les noirs anneaux d’un serpent inconnu.

Car la vie de Sémione Mossiaguine se résumait ainsi : il avait toujours faim, sa femme, ses enfants, ses bêtes avaient faim, et sa raison finissait par se troubler, par vaciller, comme un ivrogne qui titube, sans la trouver, devant la porte de sa maison.

Il s’exténuait de labeurs forcenés, et les fruits de ce labeur s’effondraient en poussière impalpable : la vie répondait à ses efforts par d’impitoyables railleries.

Comme il avait l’âme compatissante, il avait recueilli chez lui un orphelin, ce dont tout le monde le blâmait ; l’orphelin vécut quelque temps et finit par mourir de faim et de maladie ; alors il se blâma lui-même et ne sut plus au juste s’il fallait être compatissant ou non.