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LA VIE D’UN POPE

— Alors, réveille-la, allons, va !

Et Nastia vient, tout ensommeillée, haute et mince comme son père, avec de grandes mains déformées par l’ouvrage ; elle a froid et s’emmitoufle frileusement dans sa robe courte, en vérifiant silencieusement le jeu de cartes graisseux.

Ils s’asseyent autour de la table, et le jeu, le plus gai et le plus animé des jeux, commence toujours en silence, dans le chaos des meubles renversés, dans la nuit profonde où tout dort, les gens, les bêtes, la campagne.

La popadia s’efforce de rire et de plaisanter ; elle triche, dérobe les atouts, et, par instants, il lui semble que tout le monde autour d’elle a la même gaieté.

Mais, bientôt, elle s’inquiète de voir ces deux paires de mains, osseuses et muettes, aller et venir sur la table, doucement et sans bruit, comme si ces mains étaient des êtres sensés, doués d’une vie particulière.

Elle recommence à tressaillir, à se tendre dans l’attente épouvantée de quelque chose