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LA VIE D’UN POPE

rivière resplendissait chaude et tranquille, et la fille de la popadia, Nastia, cramponnée d’une main à ses jupes, la suivait pas à pas, déjà taciturne et grave, comme si l’ombre noire des choses à venir eût envahi son cerveau de six ans ; ses petits pas pressés s’efforçaient à égaler les pas longs et distraits de la mère, et ses yeux, sournoisement baissés, jetaient des regards chagrins sur le jardin familier, mais toujours plein d’un mystérieux attrait.

Dès que le soleil était parvenu au zénith, la popadia s’enfermait dans sa chambre, les volets clos ; et là, dans l’obscurité, elle buvait jusqu’à l’ivresse, avivant à chaque gorgée l’amertume de son chagrin et la brûlure de ses souvenirs.

Elle pleurait et se parlait à elle-même, d’une voix traînante et mal assurée, comme les gens qui lisent avec peine un ouvrage difficile : c’étaient indéfiniment les mêmes histoires, où vivait, riait et mourait, un petit garçon tranquille et noiraud ; et, dans ses