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La leçon finie, professeurs et élèves s’évadent chacun de son côté. Une bouche qui parle, quelques centaines d’oreilles qui écoutent, et autant de cinquantaines de mains enfiévrées à prendre des notes, voilà l’image de l’institution de culture actuelle [1]. Et l’on s’étonne si les étudiants retournent à leur veulerie, à leur dégoût, à leur scepticisme, à leur désespoir [2] ?

S’il y a trois initiations à la culture supérieure, la philosophie, l’art, et enfin l’hellénisme, en qui se résument tout art et toute philosophie, comment la jeunesse actuelle ne quitterait-elle pas les bancs avec découragement ? Il n’y a plus de philosophie. Schopenhauer avait montré que les philosophes universitaires ne sont plus que des historiens. Il n’y a plus de discipline d’art. L’enseignement présent ignore ce que c’est qu’une pensée artiste. La musique elle-même est l’objet d’une dissection savante, comme si on pouvait analyser le frisson et constituer une érudition de l’extase [3].

Parmi les tentatives éminentes de l’art contemporain, en peut-on citer une que les Universités aient secondée ? Ont-elles prêché la religion de Bayreuth ? Parmi leurs maîtres, quels sont ceux à qui est apparue la force tragique de l’hellénisme véritable ? La jeunesse allemande ainsi a manqué de chefs intellectuels ; et elle a dû tomber en proie à la fausse culture du siècle, à l’esprit des journalistes, à l’éloquence superficielle. Les théâtres et les

  1. Ibid., V. (W., IX, 405.)
  2. Ibid., V. (W., IX, 411.)
  3. Schopenhauer als Erzieher, § 8. (W., I, 490.) — Nietzsche a en vue la monographie très savante sur Mozart, par laquelle Otto Jahn (4 vol. 1856-59) venait de renouveler la science musicale, et dont l’introduction affirme la possibilité d’une étude scientifique de la musique. Otto Jahn avait été un des maîtres de Nietzsche à Bonn. On peut penser que la querelle qui s’alluma entre Ritschl et Jahn, et où Nietzsche prit parti pour Ritschl, trouve un dernier écho dans la polémique des Intempestives.