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production ; qui enfin, par la production, hausse le niveau de l’aisance. Il y a là une chaîne. L’état d’esprit bourgeois consiste à admettre qu’il existe un droit naturel de l’homme au bonheur. S’il y faut du travail et du savoir, elle encouragera cet effort fiévreux et généralisera ce savoir en toute hâte. Nietzsche voit dans cette fièvre une maladie grave. La culture vraie suppose une longue préparation, concentrée et forte, et qui aiguise le regard pour l’observation intérieure. La bourgeoisie n’a besoin que de renseignements d’affaires, rapidement acquis. Elle n’oblige pas les honmies à entrer dans le cortège du génie, et à s’en faire l’instrument intelligent. Elle les redresse au contraire dans leur souveraineté nouvelle. Elle a hâte qu’ils sachent se taxer eux-mêmes et sachent ce qu’ils peuvent demander à la vie. Elle en fait, dans le plus court délai, des machines, à grand rendement d’argent. De son point de vue, il y a toujours une proportion exacte entre l’intelligence et la propriété, entre la culture et la richesse [1].

À ce compte, la bourgeoisie aussi est donc lamarckienne. Victorieuse dans le struggle for life, elle a pris pied, par une vigoureuse adaptation, dans le réel ; et le peuple qui travaille pour elle est lui-même un des organes de préhension par où elle est ancrée dans le sol nourricier. N’est-ce pas le gage d’une durée qui peut défier toute attaque ? Pourtant le péril, dit Nietzsche, n’est pas loin :


Si les classes laborieuses s’aperçoivent un jour qu’elles peuvent aisément nous dépasser aujourd’hui par la culture et pour tout le reste, c’en sera fait de nous. Mais si cela n’a pas lieu, c’en sera fait de nous plus sûrement encore [2].

  1. Zukunft unserer Bildungsanstalten. (W., IX, 302, 357, 358, 393.)
  2. David Strauss, der Bekenner, § 2. ('"'W., I, 189.)