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thie avec eux. Son âme en ce temps-là était prussienne, et allait droit aux forts. Aux élections de février 1867, sa verve se répand non pas seulement sur le particulariste Waechter, qui triompha, et sur le Lassallien Würkert, apôtre sonore d’une république ouvrière européenne ; mais sur le professeur Wuttke, démocrate du parti de la « Grande-Allemagne », vieil et pur doctrinaire de 1848, qui, par son livre documenté et sévère sur la corruption de la presse et des partis, aurait dû, plus qu’un autre, avoir l’estime d’un homme de science[1].

À l’arrière-plan, Nietzsche avait toujours discerné une guerre contre la France. Une Europe dont le centre de gravité était Paris, c’est-à-dire une capitale ennemie où l’Autriche écrasée pouvait en tout temps retrouver un appui, lui paraissait digne de l’écroulement. L’émotion qui s’empare de toute l’Allemagne, quand Napoléon III intervient après Sadowa, lui est d’heureux augure pour l’unité prochaine. S’il faut révolutionner l’Europe par la guerre, il ne refuse pas de « tomber sous une balle française »[2]. Le choléra de 1866 empêcha Bismarck de pousser son roi aux résolutions extrêmes dès cet automne. Peut-être est-ce le spectacle de ces conséquences lointaines de la guerre qui a fait tomber la fièvre patriotique de Nietzsche l’an d’après. Il semble avoir tenté d’esquiver le service militaire, pour lequel sa myopie l’avait déjà deux fois fait ajourner[3]. Mais l’armée prussienne avait besoin d’officiers de réserve pour ses campagnes prochaines. Elle incorporait tous les étudiants valides. Nietzsche se résigna et rejoignit Naumburg pour s’enrôler.

  1. Corr., I, 64.
  2. Juillet 1866. Corr., I, 33.
  3. Il écrit à Deussen, fin 1867 : « Nach einem kraftlosen Versuche, an den Wänden des Schicksals hinan und drüber weg zu klettern, ergab ich mich und war fortan Kanonier. » Corr., l, 84.