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pour longtemps leur commune croyance. En jeunes Allemands cérémonieux, ils gravèrent sur un rocher la devise grecque de Nietzsche : « Γένοι’ οἷος ἐσσί. Deviens ce que tu es. » Le voyage qu’ils allaient entreprendre à la recherche de leur personnalité, ils le commencèrent ensemble, par une tournée à pied, sac au dos, à travers les monts de Bohême et de Bavière. Après plusieurs semaines, ils se séparèrent à Eisenach. Erwin Rohde rejoignit sa ville natale, Hambourg. Nietzsche courut encore aux fêtes musicales de Meiningen, et il y retrouva l’esprit de Schopenhauer. La musique de Hans von Bülow peut-être était d’un schopenhauérisme superficiel dans sa symphonie de Nirwana. Franz Liszt, au contraire, semblait avoir touché le fond même de la négation bouddhique du vouloir, dans ses Béatitudes[1]. Puis Nietzsche rentra à Naumburg où l’appelaient d’autres devoirs.


III

la crise de 1866 et le service militaire


Dans l’isolement où les confinait leur philosophie nouvelle, il ne faudrait pas croire que ces jeunes schopenhauériens fussent insensibles aux événements publics. Ils interprètent Schopenhauer dans le sens de l’énergie ; et le grand scepticisme du maître leur donne un jugement qui voit de haut et parle franc. Les faits de l’été de Sadowa, en 1866, avaient paru se dérouler comme cet orage que Nietzsche avait vu un jour d’une colline de Naumburg : comme un déchaînement foudroyant et sûr de forces vives et immorales, heureuses, vigoureuses, et dans lesquelles le vouloir pur n’était pas encore obscurci[2]

  1. Corr., I, 90.
  2. Attention Cette note est à une place supposée, l’éditeur ayant oublié de la positionner : Corr., 1, 26. — Daniel Halévy, Vie de Nietzsche, 1909, p. 39.